Chronique Ethnotempos Mars 2014

Fred GUICHEN – Le Voyage astral
(Paker Prod. / Coop Breizh)

Pour un musicien, il y a un temps pour partir à la conquête du monde avec un groupe de potes qui cassent la baraque et se font un nom, et il y a un temps pour se poser, se regarder en face et se demander qui on est vraiment. Parce qu’on ne peut rester toute sa vie un « yaouank » ni passer son temps en famille, avec son frère, il faut à un moment cultiver son propre jardin, chercher (et tant qu’à faire trouver) qui on est, à travers ce que l’on ressent réellement au fond de soi. C’est ainsi que l’heure de l’introspection a sonné pour Fred GUICHEN.

Pour ce faire, l’accordéoniste de l’Argoat n’y est pas allé par quatre chemins et a choisi de « sortir de son corps » pour mieux creuser son âme, tenter cette expérience que l’on nomme « voyage astral ». De cette expérience « tripale », Fred GUICHEN a ramené des sensations, des émotions, bref des choses à dire qui l’ont poussé à enregistrer un album solo qui ne ressemble pas à ce qu’il a pu faire à l’époque avec les YAOUANK, ni avec son frangin Jean-Charles.

Ce n’est pas une première, plutôt une récidive. Il y a quinze ans, le virtuose du diatonique avait déjà effectué un premier recueillement sous La Lune noire. Le voici désormais prêt à aller plus loin, plus haut, vers d’autres étoiles, avec pour tout viatique son clavier à bretelles. Avec cet album, Fred GUICHEN prend donc les voiles, foin des guinches des festoù-noz, et livre un recueil de onze compositions à écouter chez soi, au coin du feu, dans sa chambre, où vous voulez, l’esprit libre et les sens en éveil. Ce n’est assurément pas de la musique à danser, même si celle-ci – atavisme oblige – nourrit certaines compositions de ce Voyage astral. Après tout, rien n’empêche de méditer en tapant du pied, non ?

Bref, si le premier opus de Fred GUICHEN était lunaire, celui-ci se veut océanique. Notre musicien argoatien se fait significativement plus armoricain, laissant les bocages pour le littoral, voire au-delà. C’est en effet sur un fond de chant de baleines que Fred anime son clavier de ses doigts fertiles (Ocean). Le voyage commence sur la mer et, à la faveur des caprices des éléments, délaisse les lignes d’horizon pour effectuer un décollage vertical (Ascension, et ses douze minutes « en chambre »).

A chaque étape de son voyage dans cette autre dimension, Fred GUICHEN se trouve des compagnons de route, un ou deux à chaque fois, pas plus. Son clavier croise ainsi les subtiles cordes de Jacques PELLEN et de Dan AR BRAZ, se fait porter par le souffle de la flûte traversière et des tin whistles de Jean-Michel VEILLON, décuple son chant au contact de l’uillean pipes de Ronan LE BARS, glisse sur les nappes de claviers de Patrick PERON et baguenaude dans les sinuosités du violon de Sylvaine GUICHEN.

Tous traversent les dimensions astrales avec un sens poétique aiguisé, transperçant l’Ombre des brumes, pour monter au ciel surDes bulles et peindre avec les Couleurs de l’Infini avant de nous inviter à franchir « la porte rouge », derrière laquelle on peut enfin voir… la Lumière.

Les magnifiques illustrations de pochette et de livret réalisées par David PELLET dans un registre figuratif-fantastique jouent précisément de cette connexion tacite entre la mer et le ciel : les vagues de la tempête s’enroulent et tourbillonnent (comme les notes de l’accordéon « guichenien ») à tel point qu’elles forment des volutes sidérales, des trouées galactiques. Une seule illustration nous ramène sur Terre, en plein monde celtique évidemment, dans les Highlands écossaises, qui ont apparemment inspiré les titres Gordon Duncan et Loc’h. Car toutes ces rêveries astrales ne font pas oublier à Fred GUICHEN le sens du rythme de la danse, comme en témoignent des titres tels que Lady Dance, Valse à Johan ou The Red Door.

Au cours de ce Voyage astral, Fred GUICHEN combine donc les enivrements de l’esprit aux griseries du corps, tout en s’affranchissant avec sagacité et délicatesse des figures imposées par les genres, qu’il s’accapare à sa façon selon les contours et les humeurs de sa vision intérieure. Voilà assurément un disque à part dans toute la discographie bretonnante à base d’accordéon, mais qui n’en reste pas moins accessible et qui saura titiller les papilles auditives de tout mélomane avide d’aventures en quatre dimensions.

Stéphane Fougère

Ethnotempos

 

 

 

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